Les hypocrites et les parrhésiastes, deux classes méconnues de l'Allégorie de la caverne
Un des principaux freins à une révolution de la société se nomme : l'hypocrisie, qui signifie étymologiquement : "en dessous de la crise" (hypo : en dessous, krisis : décision, heure du choix), autrement dit : "pas à la hauteur des évènements" ou "incapable de prendre une décision". A la question : qui vit, dans et de, l'hypocrisie en ce moment ? On pourrait répondre par un esprit humaniste de compassion et de compréhension simpliste : tout le monde ! Pourtant, si on réfléchit bien, la catégorie des hypocrites se dessinent très nettement et elle est très intéressante puisqu'elle pourrait quasiment nous permettre de blanchir à la fois les dominants et les dominés et de sortir de la ronde infernale des poncifs sociologiques.
Le premier des réflexes révolutionnaires est souvent de s'en prendre aux dominants : les riches, les chefs..., mais dans un deuxième temps, on finit toujours par pointer aussi les dominés, en se souvenant de leur responsabilité dans les rapports de domination. La plupart du temps, on ne va pas plus loin, mais c'est peut-être manquer le principal : la classe invisible et composites des hypocrites.
Il y a effectivement d'un côté, les dominants. On pourrait aussi parler de "l'autorité", des gouvernements, de la Puissance, de l'argent, de la force armée, des administrations, des lois,... Il y a là-dedans une myriade de personnages de pouvoir, qui agissent quotidiennement en "hommes de pouvoir" qui abusent et jouissent de leur position, c'est-à-dire clairement en méchant. Les raisons des comportements de ces personnes sont connues et archi-connues depuis des siècles, voire depuis la nuit des temps, elles sont d'ordre psychanalytiques, héréditaires et ataviques. L'homme de pouvoir et d'argent n'est pas raisonnable, il est clairement névrosé, le noyau central de sa personne est corrompu, il n'est pas capable d'empathie ou de compassion. En fait, il n'est pas conscient du problème que pose la position qu'il occupe dans la société ou en tout cas, s'il en est conscient : il assume, c'est "le cynisme" dans son acception contemporaine (à ne pas confondre avec le cynisme antique). En ce sens, il n'est pas absurde de les juger fous et donc irresponsables.
De l'autre côté, les dominés. Aliénés de façon quasi irrémédiable, les dominés sont prolétarisés à l'extrême, ils n'ont pas de savoir propre, d'autonomie. Ils ont intériorisé au plus profond d'eux-mêmes cette domination, ils se vivent comme inférieurs, comme mineur politique. La nécessité de se soumettre aux chefs et aux injonctions de toutes sortes coulent de source. Ils suivent le courant et ils sont le courant. Ils ont incorporé profondément tous les mythes sociaux, tous les codes sociaux, la pensée dominante. Ils consomment. Ils ont peur et sont très facilement gouvernables/pilotables car effrayables à l'envi. Ils sont les personnages de la caverne de Platon situés tout au fond, immobiles, en train de regarder passivement, en continu, les ombres projetées sur le mur du fond.
Ensuite, je dirais qu'il y a cette classe intermédiaire des agents qui peuvent être à la fois dominants et dominés (plus ou moins dominant en fonction du niveau hiérarchique qu'ils occupent), ils sont potentiellement d'ailleurs, les marionnettes ou les agitateurs de celles-ci, desquelles proviennent les ombres.
Mais tous ces gens dont je viens de parler, dominants, dominés prolétarisés et agents, formeraient au final qu'une seule classe : celle des inconscients, des irresponsables, celle des "branchés" sur la matrice. C'est souvent à eux-tous que s'en prennent la sociologie et toutes les sciences-humaines. C'est souvent à eux-tous que pensent tous les révolutionnaires. Dominants, dominés prolétarisés et agents, n'ont pas le temps de la skholè. C'est aussi dans cette triple-classe des "branchés" que se développent actuellement tous "Les Bouddhismes".
Vous conviendrez avec moi qu'il est difficile de taxer d'hypocrites la plupart des individus de ces classes : ils ne peuvent pas être hypocrites puisqu'il ne connaissent pas la nature réelle de la krisis, puisqu'ils sont purement et simplement "branchés" ou "cyniques".
Je voudrais donc pointer dans cet article une autre classe, la plus discrète de toute peut-être, quasi invisible, qui sait se rendre invisible : la classe des hypocrites. Il s'agit des "débranchés", ceux qui savent, ceux qui voient très clair, sur les enjeux, sur les forces à l'oeuvre, sur les polémoï à mener, sur les éthiques à embrasser, mais qui procrastinent sans cesse, qui repoussent ad vitam l'échéance.
Je parle de cette classe qui prend le temps de lire, de réfléchir, de chercher, cette classe "qui ne regarde pas la télé" ou sinon épisodiquement mais uniquement dans le cadre de ses recherches, pour prendre la mesure des ombres. Je veux parler de cette classe qui a, le temps de vraiment et abondamment lire, de parler, et de réfléchir. Cette classe qui a en tête tous les paradigmes sociaux et serait en capacité d'actionner tel ou tel, cette classe qui possède une vision logique de l'histoire humaine totalement détachée de tous les mécanismes de la propagande. Cette classe qui le dit et se le dit, tous les jours ! : « Oui... Je sais... Je sais... mais... ». Cette classe qui connaît par coeur : "ce qui devrait être", qui se lève chaque matin l'esprit tourné vers ce qui devrait être, qui est bousculé à chaque pas par ce qui devrait être, qui mange ce qui devrait être, et qui s'endort chaque soir avec ce qui devrait être. Cette classe qui est inatteignable ou presque par la propagande.
Si on reprend la très fertile allégorie de la caverne et ses différents personnages, il s'agit en fait de la classe de ceux qui sont en train de griller, de se consumer, au soleil du dehors, des gens qui ont la peau brûlée par la Vérité à force d'y être exposé, mais qui ne bougent pas d'un pouce pour autant, qui restent là, comme un steack oublié qui carbonise lentement, dans une espèce d'atroce torpeur, d'immobilisme infini. C'est la classe de ceux qui vivent en permanence dans une dissonance cognitive assourdissante pathogène. Leur conscience élevée des enjeux, de ce qui devrait être, crée un décalage permanent entre leurs aspirations profondes et leur réalité quotidienne. Décalage qui n'est pas un simple gap, mais un abîme, un gouffre ontologique. Ils savent qu'ils vivent dans l'erreur, mais ils ravalent leur salive continuellement.
Ce qui leur permet de continuer ainsi, dans l'immobilisme, c'est un mécanisme (hypocrite lui-aussi) de procrastination et d'auto-persuasion (méthode Coué) : « Je vis dans l'erreur, oui, mais aujourd'hui seulement, en cette période seulement, c'est temporaire, car je sais où je vais, je sais que les choses ne seront pas toujours ainsi.» Une interminable litanie en fait, une pure méthode d'immobilisme, les bras ballants, la face carbonée tournée vers le soleil de la Vérité. Une des causes premières de cette hypocrisie, de cette dissonance, est l'ambition, l'égo, l'égoïsme et l'égotisme. Ces brûlés-vif, ces hypocrites, ont essentiellement des relations avec les individus de leur classe, c'est-à-dire avec les personnes se trouvant dans la même cabine de bronzage (ha oui, j'ai oublié de vous dire, une partie des UV consommés par ces personnes sont artificiels). Ces personnes partagent entre eux le rayonnement de la Vérité et ce réfléchissement de la lumière du soleil rebondit sur chacun d'eux comme sur la carrosserie d'une voiture ce qui a pour effet d'accélérer la carbonisation générale de leur classe. Ces personnes vivent dans un grand éblouissement permanent (autre facteur de leur immobilisme et de leur hypocrisie). Autre image : ils sont des êtres qui demeurent figés dans la béatitude de l'heuristique sans jamais rejoindre la place du village. Ils sont à l'écart, ils sont entre eux. Ils sont en fait la classe miroir des personnages hypnotisés par les ombres projetées. Les uns sont hypnotisés par les ombres et perdus dans l'obscurité, les autres par la lumière aveuglante du soleil et incapables de se mouvoir de la même manière, ce qui revient presqu'au même. Mais ces deux pôles d'immobilisme ignorent l'existence d'un mouvement, d'une dynamique, d'histoires qui se déroulent entre ces deux pôles en parallèle.
Quel est-il ce mouvement (qui est le mouvement de la Révolution) : il y a tout d'abord des personnes qui sont en train de remonter en direction de la sortie de la caverne, mais un autre mouvement, souvent moins connu, moins représenté, a lieu dans l'autre sens : ceux qui sont en train de remonter croisent des gens qui redescendent à toute vitesse ! Mais pourquoi diable redescendent-ils à toute bombe ceux là ?! Il y a deux sortes antagonistes de personnages parmi ceux qui redescendent : il y a premièrement ceux qui n'ont pas supporté la lumière du soleil et qui fuient dans l'obscurité "rassurante" de la caverne, et deuxièmement, il y a ceux, qui se sont mis en tête d'aller chercher les autres, de prévenir ceux qui sont au fond de la caverne ou même de parler à ceux qui sont en chemin et pour cela de parcourir quotidiennement le chemin de la caverne. Ce sont les parrhésiastes. Ils essaient de dire la Vérité là où il ne faut pas la dire, là où on ne peut pas la dire, là où on ne doit pas la dire, c'est-à-dire donc, là où il faut la dire. Ils s'essaient au miracle de faire se réfracter un peu du soleil du dehors, à l'intérieur de la caverne, par leur intermédiaire. Ils essaient de s'écarteler pour tenir en même temps, envers et contre tout, les deux bouts de l'allégorie de la caverne qui tendent naturellement à s'écarter, espérant les faire se rencontrer pour faire disparaître la caverne à tout jamais.
Ils sont les personnages qui ont la foi, qui croient vraiment que le mensonge finira par mourir ou que quoiqu'il arrive la vraie vie consiste en cette vie autre de parrhésiaste.
Les hypocrites sont souvent les spectateurs éberlués, apathiques, ridicules et impuissants, des parrhésiastes, qu'ils observent sans cesse ressortir de la caverne un court instant, pour y replonger à nouveau.
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