L'absence de titre, comme titre.
Pour la démocratie, comme pour la skholè.
« Le scandale est là : un scandale pour les "gens de bien" qui ne peuvent admettre que leur naissance, leur ancienneté ou leur science ait à s'incliner devant la loi du sort. Parmi tous les titres à gouverner, il y en a un qui brise la chaîne, un titre qui se réfute lui-même : l'absence de titre.
Le scandale est celui d'un titre à gouverner entièrement disjoint de toute analogie avec ceux qui ordonnent les relations sociales, de toute analogie entre la convention humaine et l'ordre de la nature. C'est celui d'une supériorité fondée sur aucun autre principe que l'absence même de supériorité. Démocratie veut dire d'abord cela : un "gouvernement" anarchique, fondé sur rien d'autre que l'absence de tout titre à gouverner.
Si le tirage au sort paraît à nos "démocraties" contraire à tout principe sérieux de sélection des gouvernants, c'est que nous avons oublié en même temps de ce que démocratie voulait dire et quel type de "nature" le tirage au sort voulait contrarier. Le tirage au sort est le remède à un mal à la fois bien plus grave et bien plus probable que le gouvernement des incompétents : le gouvernement d'une certaine compétence, celle des hommes habiles à prendre le pouvoir par la brigue. Le tirage au sort a fait depuis lors l'objet d'un formidable travail d'oubli. Nous opposons tout naturellement la justice de la représentation et la compétence des gouvernants à son arbitraire et aux risques mortels de l'incompétence. Mais le tirage au sort n'a jamais favorisé les incompétents plus que les compétents. S'il est devenu impensable pour nous, c'est que nous sommes habitués à considérer comme toute naturelle une idée qui ne l'était certainement pas pour Platon et qui ne l'était pas davantage pour les constituants français ou américains d'il y a deux siècles : que le premier titre sélectionnant ceux qui sont dignes d'occuper le pouvoir soit le fait de désirer l'exercer. Le procédé démocratique du tirage au sort est en accord avec le principe du pouvoir des savants sur un point, qui est essentiel : le bon gouvernement, c'est le gouvernement de ceux qui ne désirent pas gouverner. S'il y a une catégorie à exclure de la liste de ceux qui sont aptes à gouverner, c'est en tout cas ceux qui briguent pour obtenir le pouvoir. Pas de gouvernement juste sans part du hasard, c'est-à-dire sans part de ce qui contredit l'identification de l'exercice du gouvernement à celui d'un pouvoir désiré et conquis. La condition pour qu'un gouvernement soit politique, c'est qu'il soit fondé sur l'absence de titre à gouverner. Le pouvoir du peuple n'est pas celui de la population réunie, de sa majorité ou des classes laborieuses. Il est simplement le pouvoir propre à ceux qui n'ont pas plus de titre à gouverner qu'à être gouvernés. Le scandale de la démocratie, et du tirage au sort qui en est l'essence, est de révéler que ce titre ne peut être que l'absence de titre. » Jacques Rancière
Et je dis que c'est tout autant valable pour l'enseignement dans une skholè. Je sais que nombreux sont ceux qui ne seront pas d'accords, mais je pense savoir quelle confusion les aveugle. Dans cette société, on confond dramatiquement l'enseignement d'une tekhnè qui met le plus souvent en oeuvre des pharmaka (qui comportent des risques), avec la skholè. Cette société industrielle trace une ligne directe et continue entre l'élève du primaire qui effectue des additions et la précision du geste du chirurgien cardiaque ou les précautions d'un radiologue. Résultat, nous n'avons jamais de skholè et nous avons uniquement des sujets de l'industrie et de la technique. Il faut toujours revenir à l'étymologie de la skholè. Les êtres doivent pouvoir s'épanouir librement dans la skholè, qui peut s'adjoindre d'une paideia, elle-aussi tout aussi libre et égalitaire (et aussi diversifiée que peut l'être l'espèce humaine). Et c'est sur un tout autre plan, qui n'est peut-être qu'un aspect d'un certain type d'homme (prométhéen, homo faber, industrieux, caïn,...), on peut choisir de s'orienter librement vers une paideia spécifique qui nous enseignera une tekhnè mettant souvent en oeuvre des pharmaka (qui comportent des risques). Et là, seulement là, de façon très circonscrite, pourra apparaître la notion de titre. Cette confusion est dramatique puisque nous avons perdu la skholè en chemin (donc l'autonomie, donc la liberté, et l'égalité).
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