L'arbre de vie agonise! (Sur la disparition des frênes)
Symboliquement le frêne , appelé Yggdrasil dans la mythologie celte, est associé à l'arbre de fécondité, de renaissance. C'est l'arbre de vie. L'arbre du monde.
Ses racines et ses branches puisent sa force dite éternelle dans les profondeurs de la terre, et très haut dans les nues. Sa vigueur est telle qu'on le dit immortel. Il a en effet, traversé les époques et accompagné les hommes depuis des temps immémoriaux. Qui a essayé de couper un frêne est surpris de sa vivacité. On a scié son tronc, mais très rapidement de nouvelles branches jaillissent du sol. Il est incroyablement persévérant et obstiné dans sa volonté de vivre et déploie une grande application à repousser, toujours.
Or c'est un véritable désastre. J'ai horreur des titres comme celui que je viens d'utiliser ; nous sommes inondés de scénarios catastrophes, d'annonces morbides et tout le tintouin, qui nous maintiennent dans la peur et nous empêchent d'avancer, mais cette fois, je veux mettre à jour un fait que je viens de découvrir hier, au pas ma porte, et dont je n'avais jusque-là pas entendu parler alors que c'est un sujet capital : à savoir, la maladie dite incurable d'un arbre qui accompagne l'humanité depuis des temps immémoriaux. Mais ce fait n'est pas digne d'occuper la Une des médias : les scandales de la Fifa occupent tout l'espace.
A quelques pas de la maison, un grand frêne sèche sur pied. Toutes ses feuilles sont flétries et rabougries en petits conglomérats d'un marron uniforme. Un plus jeune arbre, de l'autre côté de la route, présente le même aspect. Pas de panique, me dira-t-on, voilà l'automne… Non. L'automne est majestueux et offre aux arbres le summum de leur beauté sur une courte durée flamboyante. D'accord, le frêne n'est pas celui des arbres qui parade le plus avant l'hiver. Son automne est plutôt discret et emporte ses feuilles brunes et jaunes sans qu'on le remarque trop... Mais jamais il n'a cet aspect recroquevillé qui s'apparente plutôt à la dégénérescence.
Les frênes sont mourants.
Les arbres qui depuis des décennies, voire des siècles, ombragent nos maisons, nos rues, nous sont devenus invisibles ou conservent au meilleur des cas un usage décoratif plaisant. Les écrans accaparent notre attention au détriment du réel. Pourtant c'est véritablement une hécatombe qui est en train de se produire chez la population des frênes, et qui devrait cristalliser toute notre inquiétude, notre attention et notre mobilisation. La chalarose, maladie cryptogamique d'une souche de champignon asiatique, provenant de Pologne -il ne faut plus chercher à comprendre les logiques de la mondialisation- s'est installé en Savoie en 2012, se répand à grande vitesse (150 km par an) et décime les frênes à une allure plus qu'inquiétante. Les jeunes frênes sont les plus rapides à dépérir, les vieux arbres résistent un peu plus longtemps. Il semblerait qu'une infime minorité parmi eux résistent à la maladie, cela dit le ravage qui s'annonce est dramatique : au Danemark, 90 % des frênes ont déjà disparu.
Avant d'aller plus loin, je crois nécessaire de faire sortir de l'oubli ce prodigieux arbre qu'est le frêne, pour qu'on ait bien tous conscience de son importance capitale et du danger à le laisser disparaître.
Sans qu'on en ait peut-être vraiment pris conscience, le frêne occupe une grande place dans notre quotidien, par son omniprésence. Il est disséminé dans presque toutes les forêts, ou installé au milieu des champs, seul ou en compagnie de quelques camarades. C'est la cinquième essence d'arbre en France, c'est un peu notre voisin paisible et majestueux à tous, dès qu'on s'éloigne de la ville ; il est partout.
Le frêne est un arbre immensément important. De tous temps, son bois précieux a eu mille usages ; il est souple, élastique et résistant. Déjà, les Grecs s'en servaient pour fabriquer leurs lances. Avant que l'industrie du contre-plaqué, de l'aggloméré ne prenne le monopole de l'ameublement, et quand chacun disposait de son temps pour les nécessités premières, le frêne avait une grande place dans la créativité humaine. De son bois on a fait aussi, nous dit Pierre Leutaghi dans son magnifique et indispensable ouvrage Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux « des échelles (…) et une foule d'objets tournés, dont des pieds de chaise, des jouets, etc. La menuiserie rustique en a tiré des armoires, des commodes, des coffres. Les ébénistes font des meubles de la plus belle qualité.» C'est aussi un excellent bois de chauffage.
Le frêne a toujours accompagné les hommes, et recèle encore tant de trésors : il nous soigne : feuilles et fruits sont diurétiques, et l'écorce est fébrifuge ; il nourrit le bétail quand les étés sont trop secs , les chèvres en raffolent particulièrement. Ses graines sont comestibles et un grand nombre de recettes vernaculaires déclinent différentes façons de les déguster. Il a encore une liste non négligeable d'usage divers que je ne mentionnerai pas ici…
Imaginer la disparition de ce compagnon-arbre est très douloureux. Quand allons-nous réagir ? Les scientifiques cherchent un virus capable d'affaiblir le champignon, l’œil rivé sur le microscope. Ils ne trouvent rien. Donc selon eux la maladie est incurable. L'orme a déjà disparu du paysage français dans les années 90. Un insecte ravageur des châtaigniers, venu lui aussi de Chine via l'Italie, le Dryocosmus kuriphilus pour les intimes, s'est installé en Savoie en 2010 et fait d'énormes dégâts sur les châtaigneraies. Les eaux des rivières sont polluées, et les populations de poissons ne pourraient, en l'état actuel, se maintenir sans les déversements d'alevins, chaque année.
L'air est vicié, cycliquement à des seuils devenus intolérables, et on nous enjoint, quelques jours dans l'année, à rouler à 70 km/h au lieu de 90 pour mobiliser notre participation citoyenne contre l'asphyxie généralisée...
Les terres elles aussi, étouffent. On connaît parfaitement les relations de cause à effet qu'engendre le travail du sol par les agriculteurs qui suivent à la lettre les prescriptions officielles : le tassage des sols via la mécanisation lourde et l'usage de produits chimiques engendre la prolifération des champignons à outrance et la mort de la fertilité des terres. On sait aussi qu'en laissant reposer la terre, en recréant les conditions initiales : présence d'insectes, de petits animaux, de micro-organismes, couverture du sol… la vie de sol se rétablit rapidement.
Et malgré ce constat, peut-être maintenant par terreur de relever la tête, les scientifiques continuent à chercher la cause des causes dans leur microscope, cherchant obstinément une solution unique à un problème unique. Cette logique provient directement de notre éducation individualiste et spécialisante à l'extrême, déconnectée du sentiment d'appartenir à un vaste ensemble auquel nous sommes indubitablement liés et partie constituante. Et si jamais, par hasard, ils découvrent effectivement une molécule qui sauverait les frênes, et que les conditions actuelles restaient inchangées, on n'aurait qu'à attendre, en jouant à la roulette russe, pour voir quelle serait la prochaine espèce menacée de disparaître de la surface de notre belle Terre.
A l'échelle cellulaire comme à l'échelle de la Terre cependant, il faut bien s'y faire: tout est interdépendant. Les cellules s'accordent pour faire vivre le corps humain, lequel à son tour, au même titre que le frêne et le châtaignier, est une cellule de l'organisme Terre. On ne peut isoler l'un de l'autre. Pour la bonne santé globale, de la cellule, du corps et de la Terre qui gravite dans le Cosmos, on doit prendre soin de TOUTES les parties. Inversement, si une partie est malade, l'ensemble est menacé, on doit donc y porter un soin extrême.
Nous devons désormais, et radicalement, inverser ce processus: la logique de l'interdépendance doit relayer celle de l'indivudualisme, dans tous les domaines de la vie: organisation politique, mode d'apprentissage, médecine... Le soin que l'on porte à soi-même, aux autres, à la Terre, tout est lié, à jamais. Le frêne qui meurt, c'est un peu de nous qui s'éteint.
Que pourrait être le cri d'un arbre?
« Frêne, avant qu'il ne soit trop tard!»
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