Extrait d'un livre sur Ellul et Charbonneau
Fin du livre de Jean Bernard-Maugiron sur Jacques Ellul et Bernard Charbonneau :
« Au terme d’une vie entière consacrée à la critique du système technicien et à lutter contre la prédation et la dévastation de la nature, le constat est sans appel : malgré quelques petites victoires ici ou là, l’échec est général. « Je dirais volontiers que j’ai échoué partout et que je n’en retire aucune amertume », confiait Ellul. Et encore, lui et Bernard Charbonneau n’ont-ils pas connu la « révolution numérique » et l’univers des technologies convergentes (biotechnologies, nanotechnologies, informatique et sciences cognitives) qui est le nôtre aujourd’hui. Celui des data centers, des clouds, des nanomatériaux, des thérapies géniques, des algorithmes auto-apprenants, des puces RFID, des imprimantes 3D, des capteurs et interfaces électroniques, des ciseaux génétiques, des implants cérébraux, des neurones artificiels…
À ce milieu terrifiant l’homme connecté semble s’être parfaitement adapté : il a troqué sa liberté contre le téléphone portable, l’Internet et les écrans hypnotiques, délégué sa souveraineté aux robots intelligents. Il a reconnu son obsolescence et s’est abandonné corps et âme à la technique, aimant enfin Big Brother, cet univers totalitaire de contrôle et de contrainte. Ainsi chaque jour l’humanisme cède un peu devant le transhumanisme et bientôt l’« homme augmenté » ravalera l’homme ancien au rang de sous-espèce. On fabrique aujourd’hui déjà de nombreuses pièces – implants et prothèses – pour le cyborg de demain, cette espèce hybride, mi-organique mi-cybernétique, cet homme-machine pour un monde-machine.
Qui peut rêver d’un tel avenir ? Les jeunes générations paraissent fascinées par ce futur, un futur sans passé puisque la transmission a été rompue, remplacée par une communication infligée jusqu’à saturation. La liberté, cette idée qui enflammait les adolescents, défiait la mort et faisait se lever les peuples est-elle devenue trop angoissante, trop exigeante pour ces esclaves modernes formatés par la propagande et dont l’ambition semble se limiter au choix de leur rôle social et des marchandises qui vont avec, de leurs préférences alimentaires ou de leurs orientations sexuelles, de leurs drogues légales ou illégales, de leur régime d’oppression politique ou religieuse ?… Assignation, sujétion, dépersonnalisation, aliénation, subordination… voilà ce que le libéralisme a fait de la liberté, cette liberté qui « n’existe pas en dehors du combat par lequel l’homme terrasse en lui-même l’être social » comme l’affirmait Charbonneau, qui vitupérait « le moi, cette outre gonflée de vent qui prétend contenir l’univers », bien avant que ne triomphe le narcissisme.
Ce qu’il faut bien appeler une mutation anthropologique nécessite des moyens colossaux, qu’apportent aujourd’hui les géants de la Silicon Valley. Mais combien de temps pourra encore durer cette fuite en avant, qui s’apparente à une course contre la montre ? Le carburant de la civilisation thermo-industrielle – les énergies fossiles – s’épuise, de même que les matières premières. La croissance est à bout de souffle, ce qui signe l’arrêt de mort d’un système économique basé sur la dette. Le réchauffement climatique, l’explosion démographique et la disparition de la biodiversité annoncent les ruptures des systèmes alimentaires, sociaux, commerciaux et sanitaires, c’est-à-dire des déplacements de populations, des conflits armés, des épidémies et des famines. Des seuils critiques ont été dépassés, des frontières franchies, des grands cycles irréversiblement détraqués, des écosystèmes détruits. Parvenue à ce stade de développement, la Grande Mue provoque une cascade d’effondrements, financiers, économiques, politiques, sociaux et culturels, dans cet ordre ou dans le désordre. Le chaos annoncé par Ellul et Charbonneau est bien là. La sixième extinction des espèces est en cours, et nous en faisons partie… Notre destin est donc tout tracé si nous continuons à nous montrer incapables de fonder une nouvelle alliance avec la nature, pour affirmer notre liberté et en faire une force révolutionnaire. »
Première photo : jacques Ellul, et deuxième : Bernard Charbonneau.
NB : sur www.descolarisation.org, nous nous sentons très très proches de ces deux-là depuis fort longtemps maintenant, nous les citons souvent. Notamment Jacques Ellul sur la propagande, la technique et l'anarchisme chrétien, ou Charbonneau pour la critique du voyage, sur la destruction de la nature, sur l'horreur de la bagnole, sur la liberté... etc.
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