La Terre est vidée de ses enfants
Et voilà…
La Terre a connu une chaude respiration estivale où enfin, toutes les parcelles de vie, forêts et clairières, petits vallons et montagnes, parcs de verdure et rivières, sentiers de bord de mer ou de campagne, collines et champs vibraient au rythme des pas enjoués des enfants rendus à leur liberté.
On avait pourtant senti une effervescence quelques jours avant ce 1er septembre, comme une quinte de toux sèche qui s'annonce. La procession funeste se prépare, comme toute cérémonie. Quand quelqu'un meurt, on se rend aux pompes funèbres avant l'enterrement, on choisit un beau cercueil, avec des poignées dorées, qui enveloppera de sa gangue de bois dur le silencieux macchabée, pour éviter le choc du face à face avec la lividité d'un cadavre. Le jour des funérailles, on met des bouquets de fleurs sur le cercueil pour rendre moins lugubre l'ensevelissement d'un être cher.
Pour la rentrée, il faut mettre le paquet pour faire passer la pilule, car on n'enterre pas un mort, on emmure vivants des milliers de jeunes âmes pleines de vigueur. Alors, le rituel des courses de la rentrée, c'est un peu comme aller aux pompes funèbres. Ça aide à faire accepter l'amertume du moment. Et chacun des enfants, de montrer à ses copains, le jour J, la couleur de son stylo, le nouveau cartable, la gomme phosphorescente, les chaussures qui clignotent, qui affichent l'heure et la température… Chacun se cantonnant à l'apparence festive du jour maudit sans voir qu'ils sont conduit, avec des babioles rigolotes et des couleurs, à se soumettre à un ordre plus grand qui leur échappe. Le supermarché, l'antre en plastique des préparatifs de la rentrée des classes, avec ses néons et ses réclames attire les foules pour le grand jour de sacrifice, comme des nuées de mouches.
Loin de l'ombre du pommier, de la fluidité du ruisseau qui caresse les orteils, du chant ponctuel et cadencé du merle, du bruit du vent dans les feuilles de bouleau, de l'immense orchestre des petits violons-crickets à la tombée de la nuit, du crépitement des flammes à l'assaut de la branche de châtaigner, des bosquets de myrtilles, de la course des nuages, loin des vibrants appels de la Terre, les enfants s'acheminent aujourd'hui vers l'école.
Dans la petite école du Bourget en Huile, comme dans toutes les écoles de France, les enfants se sont spontanément mis en rang quand les maîtresses ont claqué dans leurs mains. L'habitude de l'alignement et du rang est déjà installée dans leur structure mentale. Deux files d'enfants se sont mises en place, devant les deux portes des deux classes. Le maire et les parents observent la bonne tenue du cérémonial, en silence, comme il se doit dans les moments tragiques. Huit heures trente ont sonné au clocher, marquant le début du rite. Les portes s'ouvrent, les enfants « rentrent », puis les portes se referment. Les enfants sont dans le ventre de la République. Ce qu'il s'y passe à l'intérieur n'est plus du ressort de la famille. Les enfants viennent d'être remis, en grandes pompes, à l'autorité de l’État français. Chacun retourne vaquer à ses tristes activités.
La Terre est vidée de ses enfants, comme chaque année.
Les arbres vont, du coup, en perdre leur feuille, et la Terre se mettre en deuil.
Heureusement, ce n'est pas vraiment comme un vrai enterrement. On ne peut pas réveiller un mort, mais on peut toujours faire sortir, et si possible en masse, les enfants des écoles.
C'est pour ça que le printemps revient toujours...
[ Et un petit ajout suite au message de Manu dans la boîte mail: « (...) je voulais juste faire un petit coucou et dire que la fin de l'article me donnait trop trop envie d'une post conclusion pour un clin d'oeil au bouquin de Christiane Rochefort, "Encore heureux qu'on va vers l'été" histoire de vous allècher si vous avez pas lu : une classe de 5ième décide qu' la prochaine insulte de leur prof, ils se lèvent tous ensemble et se tirent....»]
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